vendredi 20 mai 2011

JP Thorn invité du rebellution Show le 26 Mai 2011

Le film « 93 la belle rebelle » 
 Une épopée - du rock au slam en passant par le punk et le hip hop incarnant un demi-siècle de résistance musicale en Seine-Saint-Denis et se faisant porte-voix d’une jeunesse et de territoires en perte d’identité, sous les coups des mutations industrielles, des désillusions politiques et de l’agression constante des pouvoirs successifs. La banlieue - à contrario des clichés – se révèle un espace incroyablement riche de métissages engendrant une créativité époustouflante ! Département emblématique des banlieues françaises, la Seine-Saint-Denis, étiquetée du médiatique label 9-3, incarne depuis le début des années 1960 le cliché d'une jeunesse en colère, stigmatisée comme graine de "voyous" ou plus récemment de "racailles". Une image à laquelle le réalisateur Jean-Pierre Thorn a décidé de tordre le cou en redonnant toute sa valeur à un demi-siècle de contre-culture musicale, et aux voix souvent réprimées d'un territoire en perte d'identité, mais jamais en mal de vitalité...

Du concert mythique de la Nation en 1963 au slam d'aujourd'hui en passant par le punk et bien sûr la grande vague hip-hop, le documentaire retrace les différentes étapes d'une résistance musicale intimement liée à la réalité sociale et populaire dont elle est issue. Une épopée racontée par quelques-uns de ceux qui en ont fait la richesse et la créativité : Daniel Boudon, chaudronnier et batteur d'un groupe rock au début des années 1960, Marc Perrone, promoteur du folk dix ans plus tard et précurseur du slam, Loran de Bérurier Noir, icône de la génération punk, DJ Dee Nasty, artisan de la culture hip-hop française, la rappeuse Casey, associée au trio rock radical Zone Libre, et le slameur D' de Kabal.  De larges extraits de concerts (NTM, Bérus...) et des archives percutantes racontent ainsi l'histoire d'une banlieue minée par une politique urbaine anarchique, des mutations industrielles successives, la désillusion politique et l'indifférence, voire l'agression, des pouvoirs publics : un terreau fertile, où culture et pensée ne cessent de se réinventer.




JP Thorn invité du rebellution Show le 26 Mai 2011

Jean-Pierre Thorn semble avoir un rapport singulier avec le temps. En 1968, il se jette d'abord seul, avec une petite caméra Pathé-Webo et un magnétophone non synchrone, au coeur de la grève des jeunes ouvriers de Renault-Flins, avant d'être rejoint et épaulé par des techniciens talentueux (Bruno Muel, Antoine Bonfanti, Yann Le Masson...). Grâce à Jean-Luc Godard, il tire, en mai 1969, quatre copies d' Oser lutter, oser vaincre et il en sauve une de ses camarades maoïstes de la Cause du peuple qui, lors d'un tribunal "populaire", qualifient le film de «liquidateur». Ce n'est qu'en 1978 qu' Oser lutter, oser vaincre circule réellement, au sein d'une programmation sur 1968 établie par l'auteur. Un an plus tard, Jean-Pierre Thorn retire son film des réseaux de distribution. Ce retrait a duré vingt ans. 
 
Entre-temps, entre 1969 et 1978, le cinéaste s'est fait ouvrier, "établi", aux usines Alsthom de Saint-Ouen. Quelques mois après son départ de l'usine, en octobre 1979, la grève avec occupation, tant désirée, éclate enfin. Ses camarades le sollicitent, Jean-Pierre Thorn revient avec sa caméra et ses amis cinéastes (dont, encore une fois, Bruno Muel), il en ressort avec Le dos au mur (1980), sans doute son chef-d'oeuvre, l'un des meilleurs films en tout cas sur une grève ouvrière. Ce fut vraisemblablement à ce moment, à priori, que Jean-Pierre Thorn paraît avoir été le plus "synchrone". 
 
Sa première fiction, Je t'ai dans la peau , ne pus sortir qu'en 1990, dans un contexte politique radicalement différent. Après Génération Hip Hop ou Le Mouv des Z.U.P. (1995) et Faire Kifer les anges (1996), on comprend mieux la profonde nostalgie qui traverse On n'est pas des marques de vélo (2002). En fait, à travers l'oeuvre de Jean-Pierre Thorn, entre la rage et l'amertume, perce une nostalgie violente ou secrète qui reflète des moments perdus et inachevés : la grève qu'on aurait pu gagner si..., la carrière qu'il aurait pu faire si... Sous ce discours implicite se cachent sans doute les propres fêlures du réalisateur : la Révolution ou les grèves qu'on aurait dû gagner, les autres films que j'aurais dû faire... Mais c'est justement dans cette nostalgie et dans cette amertume, dans cet entre-temps, que s'est construite l'oeuvre du cinéaste. 
 
Les titres-mêmes de ses trois principaux documentaires renvoient d'ailleurs aux évolutions de notre époque : d'une attitude de conquête de la classe ouvrière (ou de ceux qui veulent être ses héraults) à une attitude défensive, d'une attitude de défense de cette classe ouvrière autrefois fantasmée et aujourd'hui si malmenée, à une tentative de survie des jeunes des milieux populaires . A l'intérieur-même de son oeuvre, Jean-Pierre Thorn, lui-même monteur, excelle dans certains de ses films, par les temps qu'il instaure. Oser lutter, oser vaincre, dont le montage est pétri des théories d'Eisentein, est ainsi, au-delà même du pamphlet (très) dogmatique, une superbe fresque épique.
 
Entre-temps Jean-Pierre Thorn a effectivement connu le temps du travail en usine, et si sa sincérité reste toujours absolue, il a grandement gagné en qualité d'écoute, de dialogue et d'observation - gages indispensables du travail documentaire.
 
 Entre les deux espaces-mondes, entre l'usine réinvestie par les ouvriers et l'extérieur menaçant où pointent les jaunes et les CRS, percent toujours la nostalgie d'une contre-attaque quasi-militarisée, la fiction et la tentation d'une organisation de la violence, d'une reconquête du monde au delà des barrières physiques et symboliques. Le monde des usines et des ateliers, c'est celui des pères des enfants du hip-hop qui, eux, ont pour horizon les barres HLM, les grilles et les passerelles des RER, les toits et les caves des grands ensembles. Toute l'oeuvre de Jean-Pierre Thorn tend ainsi à reconquérir et élargir les espaces, à casser les murs, à remonter et rattraper le temps perdu. 
 
En fait, si certains films de Jean-Pierre Thorn sont sortis à contretemps, le cinéaste et le citoyen ont souvent été en symbiose avec leur époque, parfois en avance sur celle-ci. Au début des années 80, alors qu'il est permanent syndical de la section audiovisuelle de la CFDT (avant d'être écarté de la confédération), il est un des premiers à s'intéresser à la création vidéo en relation avec les comités d'entreprise. Il organise également, en réussissant à faire collaborer la CGT et la CFDT sur Nantes et Saint-Nazaire, un festival de vidéo des organisations ouvrières. 
Jean-Pierre Thorn est ainsi de ceux qui prouvent, par leurs actes et par leurs films, même s'il n'aime guère l'expression, que les mots "cinéastes" et"militants" ne sont parfois pas incompatibles. Au contraire.